Pour dire les choses de façon simplifiée et peut-être même un peu simpliste, je me suis trouvé dans les années 1960 confronté à une situation dans laquelle la question de l’importance de l’histoire de la philosophie et celle de la nature de la relation qu’elle entretient avec la discipline dont elle est l’histoire occupaient une place qui était tout sauf négligeable. Au premier rang des griefs formulés en France contre la philosophie analytique, par des gens qui ignoraient la plupart du temps à peu près tout d’elle, il y avait, en effet, sa façon réelle ou supposée d’ignorer ouvertement l’histoire de la philosophie et d’appliquer aux problèmes philosophiques un traitement qui avait contre lui le fait de les percevoir comme s’ils pouvaient être rencontrés et abordés de façon directe et presque complètement indépendante de la tradition qui leur a donné naissance et de l’histoire de celle-ci. Mais, d’un autre côté, l’impression que pouvait donner et que me donnait effectivement la philosophie française, dont l’histoire de la philosophie était incontestablement un des points forts et peut-être même le point fort, était la tendance à accorder à celle-ci une importance telle que la philosophie elle-même semblait se confondre plus ou moins, en fin de compte, avec son histoire. On peut remarquer, du reste, que les historiens de la philosophie ont généralement une tendance très affirmée à se considérer comme les défenseurs de la philosophie véritable, qui sont chargés de protéger celle-ci contre toutes les formes de subversion susceptibles de menacer, directement ou indirectement, son identité et son intégrité.