Amori et dolori sacrum: La Mort de Venise - Maurice Barrès

Amori et dolori sacrum: La Mort de Venise

von Maurice Barrès

  • Veröffentlichungsdatum: 2020-01-12
  • Genre: Liebesromane

Beschreibung

J’ai pris le titre de ce livre à Milan, sur la façade rococo de Santa Maria della Passione. Quel magnifique jeu ce serait de meubler, en esprit, cette église pour qu’elle devînt digne de sa double consécration! Amori et Dolori sacrum... Consacré à l’Amour et à la Douleur... Peut-être que, d’abord, on voudrait y grouper les toiles de Luini, car ce peintre est grave, voluptueux et attendrissant. Mais ses modèles ont été mêlés à si peu de choses! Ce sont des petites gens, d’une pensée trop pauvre. Amours et douleurs de cloîtrés.
Dieu me garde de mépriser aucune sincérité; mais, puisque la conscience la plus ouverte ne saurait tout accueillir et tout comprendre et puisqu’il faut faire un choix, je donne ma prédilection aux images qui sont chargées de riches expériences. Nul charme de jeune fille n’égale certaines figures de femmes âgées. On trouvera dans ce recueil un chapitre sur la vieillesse d’Élisabeth de Bavière, impératrice d’Autriche.
«Fille chérie, dit Antistius à Carmenta, l’Amour est la déesse myrionyme; on l’adore sous mille noms. Honte à qui tient pour impur l’acte suprême où l’homme le plus vulgaire et le plus coupable arrive à être jugé digne de continuer l’esprit de l’humanité. A tous les degrés de l’échelle infinie, l’amour se transfigure et lubrifie les joints de cet univers. Tout ce qui se fait de bien et de beau dans le monde se fait par le principe qui attire l’un vers l’autre deux enfants.» Je n’y contredis point, mais souvent les approches de la mort et l’usure affinent des hommes qui semblaient incapables de recueillement. A bout d’excitation, ils s’arrêtent; leur désir décidément mort leur permet enfin d’écouter. Ils entendent le bâillement universel, l’aveu d’impuissance, l’«à quoi bon» qui fait le dernier mot de toutes les activités. Cette connaissance ne décolore pas l’univers; il est plus richement diapré sous les yeux avertis d’un Faust que sous le regard impatient d’un jeune brutal. Quel beau livre, celui qui mériterait qu’on lui donnât pour titre les trois mots inscrits sur un monument de Pise Somno et Quieti sacrum!
Les pages que nous publions aujourd’hui appartiennent à la même veine que Du Sang, de la Volupté et de la Mort. La mort et la volupté, la douleur et l’amour s’appellent les unes les autres dans notre imagination. En Italie, les entremetteuses, dit-on, pour faire voir les jeunes filles dont elles disposent les assoient sur les tombes dans les églises. En Orient, les femmes prennent pour jardins les cimetières. A Paris, on n’est jamais mieux étourdi par l’odeur des roses que si l’on accompagne en juin les corbillards chargés de fleurs. Sainte Rose de Lima (j’ignore sa biographie, mais un nom si délicieux lui prête une grande autorité) pensait que les larmes sont la plus belle richesse de la création. Il n’y a pas de volupté profonde sans brisement du cœur. Et les physiologistes s’accordent avec les poètes et les philosophes pour reconnaître que, si l’amour continue l’espèce, la douleur la purifie.
Je ne souhaite pas qu’Amori et Dolori Sacrum élargisse beaucoup le cercle des sympathies que me valut Du Sang. Une société silencieuse et choisie convient à ces deux livres. Celui-ci toutefois me paraît plus lourd dans la main et plus savant pour l’oreille que mon recueil de 1895. J’ai mis de l’ordre dans toutes mes libertés; j’ai vu l’unité des émotions que je recueillais sur de longs espaces de temps et de pays.
Dans une chambre d’hôtel, auprès de deux bougies, si l’angoisse étreint un passant, il a peur d’être seul et cependant redoute qu’un importun l’oblige à sourire. La distance l’effraye qui le sépare de son chez soi. Ses tempes brûlent, le froid l’enveloppe. O nuit, puisses-tu bientôt passer! Mais elle est un pas vers la mort, dont je me fais, ce soir, une idée nette!... Cependant, le matin arrive, et voici que, sur le rempart de cette ville inconnue, le même voyageur goûte la lumière des champs, le son des cloches, l’insouciance des enfants. Il savoure la vie, il rirait de cet homme chagrin s’il se le rappelait.... Monotones balancements que nous portons sur tous les paysages!